Intro

Durant les six mois qui ont précédé son incendie, le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes a connu un mouvement de révolte continu, relayé par une forte mobilisation. Devant le centre, les manifestations, les rassemblements, les concerts et les parloirs sauvages se sont multipliés. En parallèle à ces différentes initiatives, nous avons décidé de téléphoner régulièrement aux retenus et de publier leurs témoignages (sur Internet) dans un bulletin intitulé Fermeture des centres de rétention. Le « nous » à l’origine de cette initiative n’est pas un collectif formel, mais un groupe d’individus voulant maintenir un lien permanent avec les retenus du centre.

Nous les avons appelés quotidiennement. Ils nous ont raconté leurs luttes et la répression subie chaque jour. Nous les avons renseignés sur les manifestations et les rassemblements à venir. Ils nous ont dicté leurs tracts et leurs revendications. Nous les avons mis en contact avec des journalistes. Nous leur avons lu les articles parus dans la presse. Nous avons échangé sur les manières d’échapper à une expulsion.

Durant les moments de calme relatif, ils nous ont parlé du quotidien du centre, de son organisation, des conditions d’enfermement, du comportement de la police, etc. Pendant plusieurs mois, une dizaine d’entre nous s’est relayée pour téléphoner à une quarantaine de retenus. Au départ, les témoignages étaient uniquement publiés sur des listes et des sites militants. Mais très vite, ils ont été repris par de nombreux journaux.

 

Par ces appels, nous n’avons pas seulement voulu dénoncer les conditions d’enfermement ni accompagner les retenus dans leurs démarches individuelles. Nous avons soutenu le mouvement de résistance collectif qui se développait alors. Il faut relayer les actions et les revendications, faire connaître une lutte quand elle commence, témoigner lors d’une répression, donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Téléphoner dans les centres de rétention s’inscrit pour nous dans d’autres pratiques de luttes : s’opposer aux rafles, visiter les retenus, être présents lors des convocations devant les tribunaux, intervenir dans les aéroports, etc. Ces actions reposent sur la volonté commune de s’organiser et d’agir directement à chaque étape du processus d’expulsion.

 

Nous refusons l’idée que seuls les experts, les associations, les médecins, la police ou les médias auraient une parole légitime. Notre point de vue, au contraire, est de comprendre la réalité des centres de rétention à partir de la parole et des luttes de ceux qui y sont enfermés. Ces témoignages, issus de longues conversations, traduisent le regard des retenus sur ce qu’ils vivent et ressentent alors qu’ils sont pris dans les rouages de la machine à expulser.

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Le CRA de Vincennes est divisé en deux parties (CRA 1 et CRA 2). Le CRA 1 dispose de 146 places tandis que le CRA 2 en détient 140, dont 18 réservées aux personnes transgenres. Ce dernier se situe à l’intérieur de l’École nationale de police. Les deux sont dirigés par le même commandant, secondé d’un capitaine. Chaque centre possède une zone réservée au service médical, à l’Anaem* et à la Cimade*. En janvier 2007, le CRA 1 a été en partie incendié par les retenus. Il a été entièrement reconstruit en novembre 2007 pour détenir officiellement 286 personnes, ce qui en fait le plus grand de France. Il existe 26 autres centres de rétention en France métropolitaine. Il en existe aussi en Guyane, Guadeloupe, à la Réunion et à Mayotte. Au sein de l’Europe fortifiée, on en compte 175 à ce jour. D’autres sont en construction ou situés sur la « frontière » (Europe de l’Est, Maghreb).

École nationale de police de Paris, avenue de Joinville, 75012 Paris : il s’agit de l’adresse officielle du centre de rétention administrative de Vincennes. Mais bien avant le CRA, au même endroit, étaient déjà parqués de nombreux Nord-Africains raflés en région parisienne durant la guerre d’Algérie. On peut s’y rendre par le RER A en s’arrêtant à la station Joinville-le-Pont (où Baba Traoré est mort dans la Marne, le 4 avril 2008, poursuivi par des flics voulant contrôler son identité). De là, il faut se rendre à pied jusqu’à l’hippodrome. En face se trouve le camp. Il est à l’abri des regards, caché entre le bois de Vincennes, l’autoroute A4, l’école de police et un hippodrome opulent, pour l’ironie.

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La rétention administrative autorise la préfecture à détenir une personne le temps de réunir les conditions nécessaires à son expulsion, c’est-à-dire un passeport ou un laissez-passer délivré par le consulat et un renvoi par avion ou bateau. La mise en rétention est une décision pleinement administrative. La justice n’est présente que pour encadrer la procédure.

En général, la personne est d’abord contrôlée, arrêtée, placée en garde à vue puis en rétention administrative. Après quarante-huit heures de rétention, l’étranger entravé passe une première fois devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui statue sur la validité de la procédure d’arrestation, de garde à vue et de mise en rétention. Au regard de la conformité de la procédure, il lui signifiera le prolongement de sa rétention pour quinze jours, son assignation à résidence ou sa libération. Si au terme des quinze jours l’expulsion n’a pu avoir lieu, il devra repasser devant le JLD qui généralement reconduit la rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. Au terme de cette période, s’il n’est toujours pas expulsé, il est libéré.

Le passage devant le consul pour les retenus sans passeport en cours de validité (la grande majorité) est une autre étape importante. Le consul se déplace au centre ou reçoit les retenus au consulat. Il doit les reconnaître comme ressortissants de son pays et leur délivrer un laissez-passer. Sans passeport ni laissez-passer, l’administration ne peut procéder à l’expulsion. De nombreux retenus dissimulent leur nationalité. L’administration les mène de consulat en consulat jusqu’à en trouver un qui voudra bien les reconnaître. Beaucoup de retenus échappent aux expulsions par ce biais.

* (voir le glossaire)

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