31 janvier 2008 – 5 février 2008

     Nous continuons à appeler les retenus du centre de rétention. Nous comprenons un peu mieux la nature de ce lieu et la résistance qui s’y déroule – ces continuels refus qui prennent selon les jours, selon les semaines, des intensités différentes. Pour nous, à l’extérieur, l’enjeu principal est de durer. Jeudi, un détenu nous a patiemment expliqué comment la vie du centre s’organise autour de la carte. Carte que l’on n’a pas dehors, mais que l’on vous donne à l’intérieur pour avoir accès à la bouffe, au médecin, à la Cimade. Mais carte qui sert surtout à vous contrôler à chaque instant, et finalement, à vous compter à minuit.

Jeudi 31 janvier

CRA 1. « Quand tu arrives au centre, on te donne une carte avec un numéro, ta photo, ton nom, ton prénom et ta nationalité. Pour manger, pour aller à la Cimade, pour voir le médecin ou l’infirmière, tu dois te présenter à un guichet et donner ta carte. Pour les repas, ils te donnent un ticket. Pour le reste, tu prends rendez-vous. Quand c’est ton tour, ils appellent ton nom dans le haut-parleur. Le médecin est présent le matin, l’infirmière le soir. Je suis allé voir l’infirmière une fois. Elle m’a donné des calmants et j’ai pris rendez-vous avec le médecin pour le lendemain. »

Lundi 4 février

CRA 2. « Samedi, pendant la manifestation, on a crié “liberté, liberté”. Hier, une quinzaine de personnes ont déchiré leurs cartes et les ont jetées dans le couloir. Les rasoirs qu’ils nous donnent, je ne sais pas ce qu’ils ont. Parfois, je me demande s’ils n’ont pas déjà servi. Tous les gens qui les utilisent ont des boutons. Les refus de comptage, je dirais que c’est presque tous les jours. Parfois, on refuse un peu. Parfois, on refuse beaucoup. Ils vérifient avec nos cartes que nous sommes tous bien présents. »

Mardi 5 février

CRA 2. « Il n’y a toujours pas de chauffage. Le soir, il fait froid dans les chambres. C’est une prison, ça rend les gens dépressifs. Hier soir, les flics ont éteint la télé. Un jeune leur a demandé de la rallumer. La policière lui a répondu : “Va te faire enculer !” Le jeune lui a sauté dessus. Ils se sont battus. Ils l’ont placé en isolement. On a manifesté pendant vingt minutes pour qu’il sorte. Aujourd’hui, il a été libéré. Ils m’ont retiré mon portable parce qu’il a une caméra. On n’a pas le droit d’avoir des stylos et du papier. Je suis passé hier devant le juge des libertés et de la détention. On était sept. C’était décidé d’avance. On a tous pris quinze jours de plus. Un jeune a été mis en isolement. Il vient d’avoir 18 ans, il est arrivé en France à l’âge de 6 ans. Il a fait toute sa scolarité en France. Il est diplômé. Je me suis bougé pour qu’il sorte. Je l’ai mis en contact avec un journaliste, qui est venu le voir. La Cimade a finalement téléphoné à la préfecture. Il a été libéré. »

CRA 1. « On écrivait une lettre au commandant. Un Égyptien accompagné d’un policier est venu me voir pour me demander s’il pouvait dormir avec des gens parlant la même langue que lui. Le policier était pressé de le ramener dans sa chambre. Je lui ai répondu de nous laisser. Cinq policiers sont venus pour m’emmener. Les retenus s’y sont opposés. Ils sont alors revenus à 20. Les retenus s’y sont encore opposés. Les policiers ont cassé le doigt d’un retenu et ils ont gardé deux personnes. On s’est mobilisés pour qu’ils les libèrent. Ils ont finalement été relâchés. Tout à l’heure, le commandant m’a reçu dans le couloir. Je lui ai parlé de nos préoccupations. Ils ramènent des jeunes policiers qui nous insultent. Nous avons des problèmes pour accéder aux soins. Des personnes sont expulsées sans être averties. Les gens du guichet ne nous respectent pas. La nourriture est périmée. Les briquets sont interdits. Si nous voulons fumer, il faut demander du feu aux policiers qui prétendent ne pas en avoir. Les policiers se moquent de nous. Ils nous disent qu’ici, on est nourris et logés. Ils nous demandent ce que l’on veut de plus. Ils nous manquent de respect. Parmi les policiers, certains sont racistes. Ils disent qu’ils sont chez eux, pas nous. Ils veulent créer des problèmes entre ethnies. Lorsqu’on refuse de manger, ils nous disent de laisser manger les Chinois, les Congolais… Mais nous sommes tous d’accord pour ne pas manger et personne n’est forcé. Nous, on veut notre liberté. On n’est pas venus en France pour aller en prison. On a dit au commandant qu’aujourd’hui, nous attendions des réponses à notre lettre. »

Le samedi 2 février 2008, à la suite d’une manifestation à Paris appelée par le Réseau éducation sans frontières (RESF) et Unis contre une immigration jetable (Ucij) contre les rafles, les expulsions et pour la régularisation, plusieurs centaines de personnes se retrouvent sur le parking jouxtant le centre de rétention. Elles font exploser des pétards, des feux d’artifice. On entend les cris des retenus. Ils scandent en chœur « liberté, liberté ».

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