7 février 2008 – 12 février 2008

     Dans nos discussions, nous portons une attention particulière au quotidien des détenus : l’eau est froide, l’alarme sonne chaque soir entre minuit et 1 heure, hier la nourriture était périmée, aujourd’hui, deux personnes vont devoir dormir par terre… La volonté de l’administration va au-delà de la stricte application de la loi. Le système relatif aux étrangers a pour but de casser, d’humilier, de fragiliser moralement et physiquement des hommes et des femmes. Notre volonté n’est pas de dénoncer les conditions de rétention pour réclamer leur amélioration. Il n’y a aucun aménagement possible de ces lieux sinon leur destruction.

Jeudi 7 février

CRA 1. « J’ai été voir le médecin. J’ai un problème aux yeux. Ils n’ont pas les médicaments. Ça fait quatre jours que j’attends. J’ai parlé au commandant de la lettre que nous avons écrite. Il m’a dit qu’il l’avait faxée au préfet. Mais il n’y a toujours pas de résultat. Des gens ont été libérés. Des nouveaux arrivent. Je ne peux pas leur parler de la lutte tout de suite. Je dois d’abord leur expliquer le fonctionnement du centre. Ils doivent trouver une chambre et régler leurs affaires avec l’ambassade. C’est dur de les convaincre. J’ai parlé au commandant du problème de la cigarette. Nous n’avons pas le droit d’avoir des briquets. Je lui ai demandé que les policiers en aient pour pouvoir allumer nos cigarettes. Mais je n’ai toujours pas eu de réponse. Hier, un monsieur a été frappé au visage par les agents. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Ils l’ont mis dans une chambre fermée. Je sais juste qu’il avait mal au pied. Je dois vous laisser. »

Vendredi 8 février

CRA 1. « Il y a un nouveau, il est handicapé. Il ne sait même pas parler. Quand il marche, il se tord dans tous les sens. On dirait qu’il est un peu fou. On ne voit jamais ceux qui sont dans l’autre centre, sauf par les grilles ou quand on passe devant le juge. Aux guichets, ce ne sont pas des policiers. Ils ont des blousons rouges. Certains sont gentils, mais d’autres nous humilient. Ils parlent avec leurs téléphones, ils ne nous répondent pas, ils nous font attendre une demi-heure. Le centre est plein, il y a toujours de nouveaux arrivants. Nous n’avons toujours pas eu de réponse à la lettre que nous avons écrite. Quand nous faisons des choses à l’intérieur, notre but est de mobiliser les associations. Si elles ne se mobilisent pas, c’est difficile. Mais je sais qu’il est important que nous exprimions notre colère. »

Nous les informons de la manifestation du lendemain.

« C’est bien, cela nous fait plaisir. On va essayer de sortir et de manifester avec vous. 

CRA 2. « Nous sommes très nombreux. Dans certaines chambres, il fait froid, alors les gens se regroupent dans les chambres chauffées. Les Hindous et les Chinois se regroupent par nationalité, ils peuvent dormir à sept par chambre. Cela veut dire que certains dorment par terre. »

Samedi 9 février

Nous téléphonons durant le rassemblement devant le centre.

CRA 2. « On vous entend. Nous aussi, on a manifesté à l’intérieur pour vous accompagner. Une personne a été mise en isolement. On s’est rassemblés. Chaque communauté est représentée. On discute de ce que l’on fera dans les prochains jours. Il faut que vous restiez mobilisés. »

CRA 1. « On est sortis. On vous a vus. On s’est tous mis à la grille, on a crié “liberté”. J’ai l’impression qu’en France, tout devient bleu. Les policiers étaient plus nombreux que vous. »

Dimanche 10 février

« Ce midi, nous avons refusé de manger. La date de péremption de la nourriture était atteinte. Nos proches ne peuvent pas nous apporter à manger. Les policiers disent que c’est interdit. C’est écrit dans le règlement. Nous devons acheter nos cigarettes dans le centre. Il y a aussi un distributeur de café, de sodas et d’autres bricoles à grignoter. On dépense beaucoup d’argent ici. »

Lundi 11 février

« Hier, ils ont contrôlé toutes les chambres pour savoir s’il restait de la place. Ils disent que certains lits ne sont pas occupés. Je ne les crois pas. Le centre est plein, ils le savent. Hier midi, personne n’a mangé. Ils nous ont donné des tomates, des cornichons et de la viande qui n’était pas hallal. Les gens n’ont pas le moral. Plus personne ne descend dans les salles communes. Le réfectoire et la salle télé sont vides. Les gens restent dans leur chambre. On va s’asseoir dehors entre 14 heures et 16 heures quand il y a du soleil. Je suis là depuis dix-huit jours et je suis fatigué. J’ai envie de sortir. »

Mardi 12 février

En pleine nuit, à 1 heure 30, nous recevons un coup de téléphone d’un retenu.

« Tout a commencé vers 23 heures 30. Nous étions dans la salle télé. La police a éteint la télévision sans explication. On a demandé qu’ils la rallument. Ils n’ont pas voulu. Le ton est monté très vite. Ils ont voulu mettre une personne en isolement. On a empêché la police de la prendre. Ils nous ont demandé de monter dans les chambres pour le comptage, on a refusé. Ils sont alors revenus en nombre. Ils étaient plus de 50. Il y avait des CRS et des policiers. Ils nous ont séparés en deux groupes, puis ils nous ont tabassés dans l’escalier, dans le couloir et dans les chambres. Il y a cinq personnes blessées, dont deux assez gravement. L’un semble avoir le bras cassé, l’autre le nez. Celui qui a le nez cassé a été tabassé dans sa chambre. L’infirmier est venu, il a dit qu’il ne pouvait rien faire et qu’il fallait appeler les pompiers. Ils sont venus. Ils ont emporté cinq ou six personnes. Certains sont à l’hôpital, d’autres sont en isolement, on ne sait pas trop. »

Nouveau coup de fil à 11 heures.

« Entre 3 heures 30 et 4 heures du matin, les flics sont venus. Ils nous ont tous sortis dans la cour. Certains n’ont pas eu le temps de s’habiller. On a attendu une demi-heure dans le froid. Pendant ce temps-là, ils ont fouillé les chambres. Puis ils nous ont fouillés 10 par 10. Quand nous sommes revenus dans les chambres, on a trouvé un Coran déchiré et piétiné, des fils de chargeurs de portables coupés. Des téléphones avaient disparu. »

On apprendra par les retenus puis de source officielle que cette nuit-là, la police a fait usage d’un Taser.

Le mardi 12 février, 400 policiers accompagnés de chiens raflent 115 personnes dans le foyer de travailleurs immigrés de la rue des Terres-au-Curé. La majorité d’entre elles sont sans papiers ; 30 sont placées au centre de rétention de Vincennes. Le mercredi 13 février, une manifestation réunit 1 000 personnes en réaction à la rafle. Le soir, un rassemblement a lieu devant le CRA de Vincennes pour protester contre les violences intervenues dans la nuit de lundi à mardi.

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