7 avril 2008 – 4 mai 2008

     Après deux jours de révolte au centre de rétention, nous appelons les retenus. La rage contenue est perceptible dans les voix quelquefois nouées de nos interlocuteurs, dans leurs récits. Parfois perce un sentiment d’impuissance… Au-dedans comme au-dehors, on tourne en rond, on se cogne la tête contre les murs, on cherche. À l’intérieur du centre de rétention, il n’y a pas de cellules mais un espace comprenant une cour, des chambres, des couloirs, des douches, des toilettes, un réfectoire et une salle de télévision. Les retenus peuvent s’y déplacer, mais ils restent à tout moment surveillés par des caméras et contrôlés par la police. Dans cet espace, les incursions policières ressemblent à des descentes punitives. Elles se passent rarement sans insultes racistes, coups de poing, coups de matraque, gazage…

Lundi 7 avril

CRA 1. « Tout le monde est fatigué. On reste dans nos chambres. On sort juste pour aller chercher de l’eau, pour fumer ou pour aller à la Cimade. Certains sont en grève de la faim. D’autres mangent. Moi je continue la grève de la faim. Hier, il y a eu des blessés dans le CRA 2 suite aux affrontements. On a escaladé un muret et on leur a demandé ce qui s’était passé. Les flics ont utilisé leurs matraques et du gaz lacrymogène. Dans notre centre, la police prétend qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de blessés, que ça ne sert à rien de faire la grève de la faim et que de toute manière, personne ne nous entend dehors. »

Nous leur lisons la dépêche publiée aujourd’hui dans 20 minutes suite aux affrontements.

« Cela s’est passé dans mon centre. »

Nous leur lisons ensuite l’article paru dans Le Parisien.

« Là, ce dont ils parlent s’est passé dans le CRA 2. »

« Le comportement des flics a changé depuis deux jours. Quand on leur demande du feu pour allumer une cigarette, ils ne nous en donnent plus. Ceux qui ont déchiré leur carte n’ont plus droit aux visites. La situation s’est aggravée. On continue à se réunir. On se parle régulièrement. On s’est révoltés suite à des discussions entre nous. On ne supporte plus la nourriture qu’ils nous donnent. Elle est dégueulasse. »

Mercredi 9 avril

CRA 1. « La grève de la faim est terminée des deux côtés. Des groupes mangeaient. Les gens en ont eu marre. Chacun prépare son audience ou sa sortie, ce n’est plus collectif. Tout est fini, et il n’y a rien au bout. On continue à se réunir, même si on n’a plus revu les gens qui ont organisé la première lutte. Les flics ont transféré les fortes têtes dans un autre bloc. Un matin, à 4 heures, ceux qui allaient être expulsés nous ont réveillés en passant dans les chambres. Les flics les ont localisés grâce à leurs caméras. Ils ont placé deux personnes en isolement. J’en ai revu un au tribunal, à Cité, lors de mon audience. Ce matin-là, quand ils l’ont emmené, ils étaient à cinq sur lui. Ils l’ont mis dans une cellule où il y avait des toilettes. Il a tout cassé à l’intérieur. Il a aussi cassé la caméra. Les flics ont flippé. Ils sont venus frapper à la porte, mais il n’a pas répondu. Ils ont cru qu’il était en train de se suicider. Lui, il avait peur qu’ils le frappent. Il s’est fabriqué un couteau et il a attendu qu’ils ouvrent la porte. Le commandant est intervenu. Il est venu lui parler et l’a mis dans une cellule avec trois autres personnes. Il faut penser la lutte autrement. Les gens et les flics se foutent de la grève de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur mettre une vraie pression. Quand j’étais dehors, je travaillais. J’allais boire des verres après le travail. Je sortais avec mes amis. Je me foutais du reste. Quand j’ouvrais un journal, je ne m’intéressais qu’aux gros titres. Pour les gens, c’est pareil. Il faut que ça pète pour qu’ils s’intéressent à nous. Les gens qui entrent ici n’ont aucune chance. Moi, j’ai deux avocats, j’écris des lettres mais les juges s’en foutent. Ils ont des objectifs à atteindre. Ils ne cherchent pas à comprendre. Même si tu n’es pas expulsé, tu restes ici trente-deux jours. Quand tu sors, tu as tout perdu. Tu n’as plus d’appartement parce tu n’as pas pu payer ton loyer. Tu n’as plus de travail parce que tu n’y es pas allé. Certains parmi nous ne savent ni lire ni écrire le français. Quand ils vont chez le médecin pour un mal de tête, il leur donne un cachet pour les fous qui endormirait un éléphant. Après en avoir pris, un homme a dormi vingt-quatre heures ! Ils font ça pour qu’on ne réfléchisse plus. Je conseille aux autres de ne pas prendre les cachets sans voir la boîte. Il faut que le médecin fasse une ordonnance pour qu’il existe une trace de ce qu’il a donné. Mais les gens ne savent pas. Beaucoup de flics ici sont des fils d’immigrés. Ils essaient de nous amadouer pour qu’on reste tranquilles. Quand ils viennent me parler en arabe, je leur réponds d’aller se faire foutre. S’ils n’ont rien trouvé d’autre comme métier, qu’ils aillent se faire foutre. Aujourd’hui, je me suis pris la tête avec un flic à propos de la télé. Je lui ai demandé de changer de chaîne. La télé est en hauteur. Elle est entourée de grillage et de Plexiglas. On n’y a pas accès. Il m’a répondu : “Mais pourquoi tu veux changer de chaîne ? Tu ne peux pas regarder une seule chaîne ?” La Cimade travaille avec les flics. Pour moi, c’est la même chose. Quand les nouveaux arrivent, ils leur demandent s’ils ont un avocat, s’ils ont fait une demande d’asile. Mais ils bougent tous dans le même système. Ils ne peuvent rien faire pour nous. Ils ne sont pas là pour nous défendre ni pour nous aider à sortir. Aujourd’hui, trois personnes du consulat algérien sont venues pour nous reconnaître. Elles m’ont parlé en arabe. Je leur ai dit que je ne comprenais pas. Ils ont insisté, j’ai répondu que je ne comprenais pas leur charabia. De toute façon, ils font ce qu’ils veulent, ils ne font que des conneries. Pour refuser d’embarquer, un mec a eu une idée incroyable. Il s’est chié dessus. Il s’est tout étalé sur lui. Ils n’ont pas pu l’expulser. Ils l’ont ramené au centre. Le lendemain, ils sont venus le rechercher. Ils l’ont attaché avec du Scotch et ils l’ont enroulé dans du film plastique. Ils l’ont pris et ils l’ont expulsé comme ça. S’ils m’expulsent, je ferai tout pour revenir. Ce week-end, quelqu’un s’est fait frapper à l’infirmerie. Il a subi une opération à la jambe et doit suivre un traitement. Mais l’infirmière ne l’a pas cru. J’étais là pour traduire. Elle a appelé les policiers en appuyant sur un bouton sous le bureau. Ils sont arrivés à une douzaine. J’ai essayé d’expliquer à la police que le monsieur n’avait rien fait, mais ils m’ont attrapé et malmené. Lui, ils l’ont pris et l’ont isolé. Il est sorti trois heures plus tard. Une brigade est venue relever la première. Il s’est plaint que la précédente brigade l’avait frappé. Ils l’ont jeté. Ils lui ont dit d’aller se plaindre à la Cimade. À 5 heures 30 du matin, quand on a voulu faire notre prière dans un des couloirs du centre, les CRS sont entrés en force. On leur a dit qu’on pouvait changer d’emplacement, mais ils ont lancé des bombes lacrymogènes. Ceux qui dormaient encore dans les chambres ont étouffé. Face à cela, des gars ont allumé un feu dans le centre. Ce ne sont pas les pompiers qui sont intervenus. Ils ont encore envoyé des CRS. »

« Au CRA 2, des gens sont encore en grève de la faim. Il y a une vingtaine de jours, on était 94 grévistes. On a tous arrêté. Parmi nous, un homme est resté quatorze jours sans manger. Les flics l’ont frappé. Il a porté plainte auprès de la Cimade. On reste en contact avec l’autre centre. Quand ils transfèrent l’un d’entre nous, on peut se téléphoner. Il n’y a pas de problème entre nous. Même si on ne parle pas la même langue, on est tous unis. On décide ensemble. Nous avons manifesté samedi, vers 17 heures, pendant que vous étiez dehors. On s’est rassemblés, on a crié “liberté”. On a aussi crié contre Sarkozy. Mais on ne pouvait pas vous voir. Depuis une vingtaine de jours, ils ont mis une bâche verte pour qu’on ne puisse plus voir l’extérieur. »

Lundi 14 avril

CRA 1. « Les flics nous donnent les rasoirs entre 8 heures et 10 heures du matin en échange de nos cartes. Pour pouvoir récupérer les cartes, on doit leur rendre le rasoir. On n’a jamais les mêmes. Samedi, un mec devait être expulsé vers l’Algérie. Pour ne pas partir, il s’est ouvert la jambe avec la lame du rasoir, en allant prendre sa douche. Il a failli se couper une veine. Ils l’ont emmené à l’hôpital. Ils l’ont ramené hier soir. Je lui ai dit que c’était une connerie. Depuis que je suis ici, quatre ou cinq gars ont fait des tentatives de suicide pour ne pas être expulsés. Certains se pendent, d’autres avalent des pièces de monnaie. Ceux qui refusent l’embarquement sont ramenés au centre pour être expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais accepter. Quand c’est la deuxième fois qu’ils tentent de t’expulser, ils te scotchent comme un animal et je ne veux vraiment pas partir scotché comme un animal. Aujourd’hui, une bagarre a éclaté entre un Algérien et un Égyptien. Quand les flics sont montés, ils n’ont pas essayé de calmer les choses. Le capitaine était là. L’un des flics m’a dit : “Pourquoi t’y vas pas, toi ? Tu dois être du côté de ton pote algérien.” Je lui ai répondu que c’était à lui que j’avais envie de casser la gueule et pas à mes frères ! Un autre flic nous a dit : “Vous les Algériens, vous êtes tous des terroristes !” L’un de nous l’a insulté. Alors les flics sont revenus à plusieurs. Ils ont pris le gars. Ils l’ont mis dans une chambre et lui ont cassé la gueule ; il a des marques partout. J’ai demandé à parler à un responsable. On m’a répondu que personne ne savait ce qui s’était exactement passé. Les flics avaient changé d’équipe. J’ai dit au gars de porter plainte à la Cimade et d’aller chez le médecin pour qu’il l’examine. Il l’a fait. Si on n’a pas de réponse d’ici ce soir, on va voir ce qu’on peut faire.

Je vous ai vus samedi sur le parking. En montant l’escalier et en s’appuyant sur une barre, on peut apercevoir le parking qu’ils ont essayé de nous cacher avec la bâche verte. Les flics nous ont empêchés de nous rassembler. Ils viennent à quatre ou cinq, ils se mettent parmi nous. Ils essaient de capter l’attention des retenus en leur parlant d’autres choses. Les gens se font avoir facilement et ça marche. Après votre visite sur le parking, le commandant est venu en nous disant qu’on pouvait toujours crier, ça ne servait à rien. Il nous a fait la morale pendant plus d’une heure. Quand il vient, les détenus l’appellent “chef”. Je leur demande toujours d’arrêter. Ce n’est pas leur chef ! De toute manière, ils veulent nous casser le moral. J’ai dit aux gars : “Vous arrivez à vous réunir pour faire la prière, mais vous vous bagarrez entre vous. Et quand les flics arrivent, vous n’arrivez pas à vous unir contre eux.” »

Jeudi 24 avril

« Un retenu a dit à la cuisinière qu’il ne mangeait que hallal. La cuisinière l’a insulté. Il a jeté son plat vers elle. Il ne pouvait pas l’atteindre car il y a un grillage entre eux. La cuisinière a dit aux flics qu’il lui avait craché dessus, 20 policiers l’ont tabassé en dehors du champ des caméras. Il fait un mètre cinquante ! Ils l’ont bien amoché à coups de rangers sur le visage. Ils ont même essayé de lui casser le poignet. Ensuite, ils l’ont mis une heure en isolement, avec les menottes très serrées. Il est sorti avec les poignets enflés. On lui a dit de porter plainte, mais tout s’est passé en dehors des caméras. Il nous a fait de la peine. On a manifesté. Les flics nous ont poussés. Ils ont fermé le sas de protection de l’administration et nous ont dispersés. Ils l’ont mis dans l’autre centre. Ici, on était ensemble, solidaires ; là-bas, il est tout seul avec de nouvelles personnes. »

Le 4 mai, une manifestation contre les centres de rétention part de la Porte Dorée et va jusqu’au CRA de Vincennes. Elle est suivie d’un concert avec Kalash et Keny Arkana. Une personne est arrêtée. Elle est emmenée au commissariat du douzième.

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