Intro

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

Durant les six mois qui ont précédé son incendie, le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes a connu un mouvement de révolte continu, relayé par une forte mobilisation. Devant le centre, les manifestations, les rassemblements, les concerts et les parloirs sauvages se sont multipliés. En parallèle à ces différentes initiatives, nous avons décidé de téléphoner régulièrement aux retenus et de publier leurs témoignages (sur Internet) dans un bulletin intitulé Fermeture des centres de rétention. Le « nous » à l’origine de cette initiative n’est pas un collectif formel, mais un groupe d’individus voulant maintenir un lien permanent avec les retenus du centre.

Nous les avons appelés quotidiennement. Ils nous ont raconté leurs luttes et la répression subie chaque jour. Nous les avons renseignés sur les manifestations et les rassemblements à venir. Ils nous ont dicté leurs tracts et leurs revendications. Nous les avons mis en contact avec des journalistes. Nous leur avons lu les articles parus dans la presse. Nous avons échangé sur les manières d’échapper à une expulsion.

Durant les moments de calme relatif, ils nous ont parlé du quotidien du centre, de son organisation, des conditions d’enfermement, du comportement de la police, etc. Pendant plusieurs mois, une dizaine d’entre nous s’est relayée pour téléphoner à une quarantaine de retenus. Au départ, les témoignages étaient uniquement publiés sur des listes et des sites militants. Mais très vite, ils ont été repris par de nombreux journaux.

 

Par ces appels, nous n’avons pas seulement voulu dénoncer les conditions d’enfermement ni accompagner les retenus dans leurs démarches individuelles. Nous avons soutenu le mouvement de résistance collectif qui se développait alors. Il faut relayer les actions et les revendications, faire connaître une lutte quand elle commence, témoigner lors d’une répression, donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Téléphoner dans les centres de rétention s’inscrit pour nous dans d’autres pratiques de luttes : s’opposer aux rafles, visiter les retenus, être présents lors des convocations devant les tribunaux, intervenir dans les aéroports, etc. Ces actions reposent sur la volonté commune de s’organiser et d’agir directement à chaque étape du processus d’expulsion.

 

Nous refusons l’idée que seuls les experts, les associations, les médecins, la police ou les médias auraient une parole légitime. Notre point de vue, au contraire, est de comprendre la réalité des centres de rétention à partir de la parole et des luttes de ceux qui y sont enfermés. Ces témoignages, issus de longues conversations, traduisent le regard des retenus sur ce qu’ils vivent et ressentent alors qu’ils sont pris dans les rouages de la machine à expulser.

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Le CRA de Vincennes est divisé en deux parties (CRA 1 et CRA 2). Le CRA 1 dispose de 146 places tandis que le CRA 2 en détient 140, dont 18 réservées aux personnes transgenres. Ce dernier se situe à l’intérieur de l’École nationale de police. Les deux sont dirigés par le même commandant, secondé d’un capitaine. Chaque centre possède une zone réservée au service médical, à l’Anaem* et à la Cimade*. En janvier 2007, le CRA 1 a été en partie incendié par les retenus. Il a été entièrement reconstruit en novembre 2007 pour détenir officiellement 286 personnes, ce qui en fait le plus grand de France. Il existe 26 autres centres de rétention en France métropolitaine. Il en existe aussi en Guyane, Guadeloupe, à la Réunion et à Mayotte. Au sein de l’Europe fortifiée, on en compte 175 à ce jour. D’autres sont en construction ou situés sur la « frontière » (Europe de l’Est, Maghreb).

École nationale de police de Paris, avenue de Joinville, 75012 Paris : il s’agit de l’adresse officielle du centre de rétention administrative de Vincennes. Mais bien avant le CRA, au même endroit, étaient déjà parqués de nombreux Nord-Africains raflés en région parisienne durant la guerre d’Algérie. On peut s’y rendre par le RER A en s’arrêtant à la station Joinville-le-Pont (où Baba Traoré est mort dans la Marne, le 4 avril 2008, poursuivi par des flics voulant contrôler son identité). De là, il faut se rendre à pied jusqu’à l’hippodrome. En face se trouve le camp. Il est à l’abri des regards, caché entre le bois de Vincennes, l’autoroute A4, l’école de police et un hippodrome opulent, pour l’ironie.

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La rétention administrative autorise la préfecture à détenir une personne le temps de réunir les conditions nécessaires à son expulsion, c’est-à-dire un passeport ou un laissez-passer délivré par le consulat et un renvoi par avion ou bateau. La mise en rétention est une décision pleinement administrative. La justice n’est présente que pour encadrer la procédure.

En général, la personne est d’abord contrôlée, arrêtée, placée en garde à vue puis en rétention administrative. Après quarante-huit heures de rétention, l’étranger entravé passe une première fois devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui statue sur la validité de la procédure d’arrestation, de garde à vue et de mise en rétention. Au regard de la conformité de la procédure, il lui signifiera le prolongement de sa rétention pour quinze jours, son assignation à résidence ou sa libération. Si au terme des quinze jours l’expulsion n’a pu avoir lieu, il devra repasser devant le JLD qui généralement reconduit la rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. Au terme de cette période, s’il n’est toujours pas expulsé, il est libéré.

Le passage devant le consul pour les retenus sans passeport en cours de validité (la grande majorité) est une autre étape importante. Le consul se déplace au centre ou reçoit les retenus au consulat. Il doit les reconnaître comme ressortissants de son pays et leur délivrer un laissez-passer. Sans passeport ni laissez-passer, l’administration ne peut procéder à l’expulsion. De nombreux retenus dissimulent leur nationalité. L’administration les mène de consulat en consulat jusqu’à en trouver un qui voudra bien les reconnaître. Beaucoup de retenus échappent aux expulsions par ce biais.

* (voir le glossaire)

13 janvier 2008 – 18 janvier 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Mi-décembre 2007, une lutte débute dans le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, près de Roissy : inscriptions sur les T-shirts, cahiers de doléances, refus de rentrer dans les chambres, grève de la faim. Le 27 décembre, pour casser la lutte, un retenu considéré par la police comme un des meneurs du mouvement est transféré au CRA de Vincennes. Le même jour, les détenus de Vincennes entament à leur tour une grève de la faim et refusent de rentrer dans leurs chambres. Dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 décembre, 150 CRS font irruption dans le centre pour forcer manu militari les détenus à rejoindre leurs chambres. La répression est sans précédent. Certains sont grièvement blessés. Trois nuits de suite, les CRS interviendront pour mater la révolte. Lundi 31 décembre, peu avant minuit, un feu d’artifice est tiré devant le centre de rétention. Quatre personnes sont arrêtées. Jeudi 3 janvier 2008, une manifestation rassemble 200 personnes devant le centre de rétention de Vincennes. La mobilisation prend de l’ampleur. Chaque jour, des rassemblements ont lieu. Les médias parlent quotidiennement de la lutte des grévistes de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Le vendredi 4 janvier, la préfecture organise une visite guidée pour les journalistes afin de prouver que rien ne se passe à l’intérieur et que les conditions de détention n’y sont pas inhumaines. Le samedi 5 janvier, une manifestation rassemble un millier de personnes devant le CRA de Vincennes : parloir sauvage, chants et échanges de slogans avec les détenus, feu d’artifice depuis le parking. Les flics chargent et matraquent, une personne est arrêtée, elle sera relâchée le lendemain. Nous décidons d’appeler quotidiennement les détenus de Vincennes pour rendre compte de la situation à l’intérieur.

Dimanche 13 janvier

« Tous les matins, on nous fouille. On descend au réfectoire vers 9 heures. Souvent, le café est froid. Lorsqu’on le signale, les policiers répondent qu’ils sont uniquement là pour nous surveiller. Ce midi, on nous a servi des haricots blancs périmés depuis le 5 janvier. Quand on l’a signalé, ils ont à nouveau répondu qu’ils ne voulaient rien savoir. Nous sommes partis voir la Cimade avec les barquettes périmées pour leur demander de témoigner. Quand on se repose, les policiers viennent fouiller les chambres. La nuit, ils sont dans le couloir. Si on doit aller aux toilettes, ils nous suivent et laissent la porte ouverte. Pour déranger notre sommeil, ils mettent l’alarme entre minuit et 1 heure. Il ne faut pas qu’on lâche. Il faut que l’on soit tous d’accord pour relancer la lutte. »

Mardi 15 janvier

« Je suis fatigué. On n’a aucune communication avec l’extérieur. Rien ne sort d’ici. Il n’y a pas d’eau chaude dans les douches. Le ballon d’eau n’est pas suffisant pour tout le monde. On ne peut pas laver nos affaires. Dans certaines chambres, il n’y a pas de chauffage. Le commandant s’en fout. On est 250 dans le centre. On est écœurés. La police emmène les médias là où ils ont fait des travaux pour montrer à la télé, à la radio que tout va bien, que nous sommes calmes et qu’ils s’occupent bien de nous. Mais c’est l’inverse. Notre mouvement a été sans conséquences. On se parle entre les deux centres. On peut communiquer à travers le grillage. Les gens de la Cimade ne veulent pas monter dans les chambres pour se rendre compte de notre situation et de nos problèmes. Leurs recours ne changent rien. Comme j’essaie d’organiser des choses, beaucoup de flics sont contre moi. Quand je parle avec les autres, ils interviennent et me demandent ce que je trafique. »

Mercredi 16 janvier

« On a fait une réunion. On s’est parlé pour relancer le mouvement. Beaucoup n’ont pas le moral. Certains sont venus nous voir pour demander des avocats. Il ne faut pas baisser les bras. Il y a 40 personnes pour lesquelles les ambassades n’ont pas délivré de laissez-passer. Elles ne les ont pas reconnues. Ils ne peuvent pas les expulser. Elles doivent quand même rester trente-deux jours dans le centre. On proteste contre ça. Hier, ils ont ramené deux gars. Il n’y avait plus de place, plus de chambres, plus de matelas. Ils ont dû dormir par terre dans le couloir. Le centre est plein, mais ils continuent à ramener des gens. Ils envoient les nouveaux en disant : “Va voir tes collègues ! Ils te trouveront une place !” Si on proteste, ils disent : “On verra demain.” »

Jeudi 17 janvier

À minuit, nous recevons un coup de téléphone d’un des retenus avec lesquels nous communiquons depuis le début des événements.

« La police est venue me voir pour me dire que demain matin, à 7 heures, ils m’emmèneraient devant le juge. Quel juge ? Je suis là depuis vingt-huit jours. Je n’ai aucun juge à aller voir. Ils veulent m’expulser sans rien me dire. J’en suis sûr. »

Vendredi 18 janvier

À 6 heures, il nous rappelle.

« Je suis à Roissy. Ils sont venus me chercher à 5 heures ce matin. J’avais raison, ils m’ont menti. »

Le 19 janvier 2008, dans le cadre de la journée européenne d’action contre les centres de rétention et contre la directive européenne qui prévoit de fixer la durée maximum de la rétention à quinze mois, 4 000 personnes manifestent du musée de l’immigration, Porte Dorée, au centre de rétention de Vincennes. Près de 500 personnes entrent sur le parking qui jouxte le centre. De l’autre côté, loin derrière les lignes de gardes mobiles, les retenus crient « liberté ». Ils chantent et agitent des draps blancs. Alors qu’ils se rendent à la manifestation, Bruno et Ivan se font arrêter avec un fumigène artisanal et des clous tordus. Ils passeront quatre mois en détention préventive*. À Angers, Nîmes, Lyon et Rennes, des rassemblements similaires ont lieu devant les centres de rétention. L’association SOS soutien aux sans-papiers appelle à manifester tous les samedis devant le CRA de Vincennes.

*http://infokiosques.net/mauvaises_intentions

22 janvier 2008 – 27 janvier 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Nous continuons à appeler. D’autres rendent régulièrement visite aux détenus. Nous nous rassemblons devant le CRA de Vincennes tous les samedis. À chaque fois, il s’agit d’entrer en contact avec eux. Nous devons approcher le centre au plus près. Nous montrer, nous faire entendre. Pour les détenus, le seul lieu accessible pour nous voir est une passerelle sur laquelle ils peuvent se rassembler. Pour nous, la seule manière d’être visibles est d’accéder au milieu du parking de l’hippodrome. À chaque rassemblement, les CRS nous empêchent d’atteindre ce point. Et souvent, la police du centre ne laisse pas les retenus se réunir sur la passerelle. Quand nous y parvenons, nous échangeons des cris, des gestes. Ces échanges nous permettent de tenir, eux et nous.

Mardi 22 janvier

« Pendant la grande manifestation de samedi, nous sommes allés sur la passerelle. J’ai sorti un drap, nous l’avons accroché à la grille. La police nous filmait. Les CRS sont entrés à l’intérieur du centre. D’abord, ils ont fouillé les chambres, ensuite ils nous ont obligés à rentrer. On ne dort pas, on est constamment réveillés par le haut-parleur. Ils appellent pour le comptage, les visites, les expulsions, quand on passe devant le juge. Cela ne s’arrête jamais. »

Mercredi 23 janvier

« Hier soir, à minuit, on a refusé d’être comptés et de rentrer dans les chambres. On a essayé de dormir dehors. Tout le monde criait “liberté”. On a tenté de parler avec le chef de la police, mais il a appelé les CRS. La police criait : “Dégagez ! On ne veut pas de vous ici !” Ils nous ont dit : “Si vous ne rentrez pas, on vous fait rentrer de force.” Ils nous ont alors poussés avec les casques. On discute ensemble, mais c’est difficile. Ils nous contrôlent tout le temps avec les caméras. Ils nous contrôlent jour et nuit. Il faut continuer les manifestations devant le centre. Cela nous fait du bien. On sort. On crie. Si on manifeste une, deux, trois fois par semaine, ils vont comprendre. Ce soir, des gars ont mis le feu à leur chambre en brûlant des papiers. Les pompiers sont intervenus pour éteindre le feu. La police n’a embarqué personne. Ils veulent peut-être brûler le centre. »

Le soir, un rassemblement a lieu devant le CRA.

Jeudi 24 janvier

« Aujourd’hui, nous avons refusé de manger. Nous avons jeté la nourriture par terre dans le réfectoire. La police filme ceux qui se révoltent. Elle les sépare et les place dans l’autre bâtiment. Ils sont venus chercher deux personnes. Parmi eux, il y a un Tunisien qui n’a pas mangé depuis plus de dix jours. Il a perdu neuf kilos. Ils ont expulsé un Algérien. Demain, ils expulseront des Chinois. Le soir, ils inscrivent sur un tableau le nom, la destination, l’horaire de départ et l’aéroport de ceux qu’ils expulseront le lendemain. Il arrive que des gens soient expulsés sans que leur nom soit inscrit sur le tableau. C’est souvent le cas pour ceux qui foutent le bordel. Le matin, les flics viennent les chercher et les emmènent à l’aéroport. Hier soir, ils ont fermé les cabines téléphoniques à minuit, juste après l’agitation. Ils ne les ont rouvertes que ce matin. »

Nous parvenons à joindre la personne en grève de la faim qui a été transférée dans l’autre centre.

« Hier, quatre policiers m’ont sauté dessus. Ils ont déchiré ma veste. Ils m’ont dit que je ne serais pas soigné tant que je ne mangerai pas. Ils m’ont changé de bâtiment. Ça fait dix-huit jours que je ne mange pas. J’ai perdu 10 kilos. Je ne mange pas parce que la nourriture n’est pas hallal. De toute façon, je ne veux pas m’alimenter. Je ne bois que de l’eau et du café. Aujourd’hui encore, le médecin a refusé de me donner des médicaments. Je veux sortir du centre. Je veux être libre. La Cimade a refusé de présenter mon recours. Ils ont dit que les vingt-quatre heures étaient passées, alors que c’est faux. »

Vendredi 25 janvier

À 18 heures 30, un détenu nous informe qu’ils ont brûlé une chambre, que les pompiers sont intervenus et que la majorité des détenus refuse de manger.

21 heures. « Un député est venu nous visiter. Il nous a promis d’apporter des stylos et du papier pour décrire notre situation. Il nous a dit qu’il fallait respecter les policiers, qu’ils n’étaient pas responsables, que les décisions venaient d’en haut. Les gens lui ont répondu qu’ils ne cherchaient pas à améliorer leurs conditions de détention, qu’ils voulaient la liberté. »

Samedi 26 janvier

Midi. « Un premier feu a pris dans les toilettes. Ensuite, deux chambres ont brûlé. On a refusé de manger. On a empêché l’accès au réfectoire en bloquant les portes. La police nous a demandé de laisser passer ceux qui voulaient manger. Ils ont fini par nous dégager. Seule une minorité est allée manger. »

15 heures. En réaction aux événements de la veille, un rassemblement se déroule devant le centre.

« La police bloque l’accès à la passerelle d’où nous pouvons vous voir. Mais nous pouvons vous entendre. »

18 heures. « Une soixantaine de CRS sont entrés dans le centre. Ils ont fouillé toutes les chambres. Ils nous ont fouillés. Ils ont trouvé un briquet. Ils ont transféré deux personnes dans l’autre centre. »

Dimanche 27 janvier

« Aujourd’hui, un feu a éclaté dans une chambre de quatre personnes. Les pompiers sont venus éteindre l’incendie. Les flics nous ont enfermés dans le réfectoire. Vingt policiers sont venus chercher quatre personnes violemment. Ils sont en garde à vue pour avoir mis le feu au centre. »

Parmi les quatre retenus, trois seront libérés au terme de la garde à vue. L’autre passera en comparution immédiate pour incendie volontaire et sera finalement libéré avec une condamnation d’un mois de prison avec sursis.

Le samedi 26 janvier, une soixantaine de personnes se rassemblent devant le CRA de Vincennes. Bien que les CRS soient toujours plus nombreux, les manifestants entrent sur le parking à deux reprises et échangent des mots et des gestes avec les retenus. Le dimanche 27 janvier, une quarantaine de personnes tentent de s’approcher du centre, mais les CRS les encadrent immédiatement. Devant l’hippodrome, on distribue des tracts alors qu’a lieu le Grand Prix d’Amérique.

31 janvier 2008 – 5 février 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Nous continuons à appeler les retenus du centre de rétention. Nous comprenons un peu mieux la nature de ce lieu et la résistance qui s’y déroule – ces continuels refus qui prennent selon les jours, selon les semaines, des intensités différentes. Pour nous, à l’extérieur, l’enjeu principal est de durer. Jeudi, un détenu nous a patiemment expliqué comment la vie du centre s’organise autour de la carte. Carte que l’on n’a pas dehors, mais que l’on vous donne à l’intérieur pour avoir accès à la bouffe, au médecin, à la Cimade. Mais carte qui sert surtout à vous contrôler à chaque instant, et finalement, à vous compter à minuit.

Jeudi 31 janvier

CRA 1. « Quand tu arrives au centre, on te donne une carte avec un numéro, ta photo, ton nom, ton prénom et ta nationalité. Pour manger, pour aller à la Cimade, pour voir le médecin ou l’infirmière, tu dois te présenter à un guichet et donner ta carte. Pour les repas, ils te donnent un ticket. Pour le reste, tu prends rendez-vous. Quand c’est ton tour, ils appellent ton nom dans le haut-parleur. Le médecin est présent le matin, l’infirmière le soir. Je suis allé voir l’infirmière une fois. Elle m’a donné des calmants et j’ai pris rendez-vous avec le médecin pour le lendemain. »

Lundi 4 février

CRA 2. « Samedi, pendant la manifestation, on a crié “liberté, liberté”. Hier, une quinzaine de personnes ont déchiré leurs cartes et les ont jetées dans le couloir. Les rasoirs qu’ils nous donnent, je ne sais pas ce qu’ils ont. Parfois, je me demande s’ils n’ont pas déjà servi. Tous les gens qui les utilisent ont des boutons. Les refus de comptage, je dirais que c’est presque tous les jours. Parfois, on refuse un peu. Parfois, on refuse beaucoup. Ils vérifient avec nos cartes que nous sommes tous bien présents. »

Mardi 5 février

CRA 2. « Il n’y a toujours pas de chauffage. Le soir, il fait froid dans les chambres. C’est une prison, ça rend les gens dépressifs. Hier soir, les flics ont éteint la télé. Un jeune leur a demandé de la rallumer. La policière lui a répondu : “Va te faire enculer !” Le jeune lui a sauté dessus. Ils se sont battus. Ils l’ont placé en isolement. On a manifesté pendant vingt minutes pour qu’il sorte. Aujourd’hui, il a été libéré. Ils m’ont retiré mon portable parce qu’il a une caméra. On n’a pas le droit d’avoir des stylos et du papier. Je suis passé hier devant le juge des libertés et de la détention. On était sept. C’était décidé d’avance. On a tous pris quinze jours de plus. Un jeune a été mis en isolement. Il vient d’avoir 18 ans, il est arrivé en France à l’âge de 6 ans. Il a fait toute sa scolarité en France. Il est diplômé. Je me suis bougé pour qu’il sorte. Je l’ai mis en contact avec un journaliste, qui est venu le voir. La Cimade a finalement téléphoné à la préfecture. Il a été libéré. »

CRA 1. « On écrivait une lettre au commandant. Un Égyptien accompagné d’un policier est venu me voir pour me demander s’il pouvait dormir avec des gens parlant la même langue que lui. Le policier était pressé de le ramener dans sa chambre. Je lui ai répondu de nous laisser. Cinq policiers sont venus pour m’emmener. Les retenus s’y sont opposés. Ils sont alors revenus à 20. Les retenus s’y sont encore opposés. Les policiers ont cassé le doigt d’un retenu et ils ont gardé deux personnes. On s’est mobilisés pour qu’ils les libèrent. Ils ont finalement été relâchés. Tout à l’heure, le commandant m’a reçu dans le couloir. Je lui ai parlé de nos préoccupations. Ils ramènent des jeunes policiers qui nous insultent. Nous avons des problèmes pour accéder aux soins. Des personnes sont expulsées sans être averties. Les gens du guichet ne nous respectent pas. La nourriture est périmée. Les briquets sont interdits. Si nous voulons fumer, il faut demander du feu aux policiers qui prétendent ne pas en avoir. Les policiers se moquent de nous. Ils nous disent qu’ici, on est nourris et logés. Ils nous demandent ce que l’on veut de plus. Ils nous manquent de respect. Parmi les policiers, certains sont racistes. Ils disent qu’ils sont chez eux, pas nous. Ils veulent créer des problèmes entre ethnies. Lorsqu’on refuse de manger, ils nous disent de laisser manger les Chinois, les Congolais… Mais nous sommes tous d’accord pour ne pas manger et personne n’est forcé. Nous, on veut notre liberté. On n’est pas venus en France pour aller en prison. On a dit au commandant qu’aujourd’hui, nous attendions des réponses à notre lettre. »

Le samedi 2 février 2008, à la suite d’une manifestation à Paris appelée par le Réseau éducation sans frontières (RESF) et Unis contre une immigration jetable (Ucij) contre les rafles, les expulsions et pour la régularisation, plusieurs centaines de personnes se retrouvent sur le parking jouxtant le centre de rétention. Elles font exploser des pétards, des feux d’artifice. On entend les cris des retenus. Ils scandent en chœur « liberté, liberté ».

7 février 2008 – 12 février 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Dans nos discussions, nous portons une attention particulière au quotidien des détenus : l’eau est froide, l’alarme sonne chaque soir entre minuit et 1 heure, hier la nourriture était périmée, aujourd’hui, deux personnes vont devoir dormir par terre… La volonté de l’administration va au-delà de la stricte application de la loi. Le système relatif aux étrangers a pour but de casser, d’humilier, de fragiliser moralement et physiquement des hommes et des femmes. Notre volonté n’est pas de dénoncer les conditions de rétention pour réclamer leur amélioration. Il n’y a aucun aménagement possible de ces lieux sinon leur destruction.

Jeudi 7 février

CRA 1. « J’ai été voir le médecin. J’ai un problème aux yeux. Ils n’ont pas les médicaments. Ça fait quatre jours que j’attends. J’ai parlé au commandant de la lettre que nous avons écrite. Il m’a dit qu’il l’avait faxée au préfet. Mais il n’y a toujours pas de résultat. Des gens ont été libérés. Des nouveaux arrivent. Je ne peux pas leur parler de la lutte tout de suite. Je dois d’abord leur expliquer le fonctionnement du centre. Ils doivent trouver une chambre et régler leurs affaires avec l’ambassade. C’est dur de les convaincre. J’ai parlé au commandant du problème de la cigarette. Nous n’avons pas le droit d’avoir des briquets. Je lui ai demandé que les policiers en aient pour pouvoir allumer nos cigarettes. Mais je n’ai toujours pas eu de réponse. Hier, un monsieur a été frappé au visage par les agents. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Ils l’ont mis dans une chambre fermée. Je sais juste qu’il avait mal au pied. Je dois vous laisser. »

Vendredi 8 février

CRA 1. « Il y a un nouveau, il est handicapé. Il ne sait même pas parler. Quand il marche, il se tord dans tous les sens. On dirait qu’il est un peu fou. On ne voit jamais ceux qui sont dans l’autre centre, sauf par les grilles ou quand on passe devant le juge. Aux guichets, ce ne sont pas des policiers. Ils ont des blousons rouges. Certains sont gentils, mais d’autres nous humilient. Ils parlent avec leurs téléphones, ils ne nous répondent pas, ils nous font attendre une demi-heure. Le centre est plein, il y a toujours de nouveaux arrivants. Nous n’avons toujours pas eu de réponse à la lettre que nous avons écrite. Quand nous faisons des choses à l’intérieur, notre but est de mobiliser les associations. Si elles ne se mobilisent pas, c’est difficile. Mais je sais qu’il est important que nous exprimions notre colère. »

Nous les informons de la manifestation du lendemain.

« C’est bien, cela nous fait plaisir. On va essayer de sortir et de manifester avec vous. 

CRA 2. « Nous sommes très nombreux. Dans certaines chambres, il fait froid, alors les gens se regroupent dans les chambres chauffées. Les Hindous et les Chinois se regroupent par nationalité, ils peuvent dormir à sept par chambre. Cela veut dire que certains dorment par terre. »

Samedi 9 février

Nous téléphonons durant le rassemblement devant le centre.

CRA 2. « On vous entend. Nous aussi, on a manifesté à l’intérieur pour vous accompagner. Une personne a été mise en isolement. On s’est rassemblés. Chaque communauté est représentée. On discute de ce que l’on fera dans les prochains jours. Il faut que vous restiez mobilisés. »

CRA 1. « On est sortis. On vous a vus. On s’est tous mis à la grille, on a crié “liberté”. J’ai l’impression qu’en France, tout devient bleu. Les policiers étaient plus nombreux que vous. »

Dimanche 10 février

« Ce midi, nous avons refusé de manger. La date de péremption de la nourriture était atteinte. Nos proches ne peuvent pas nous apporter à manger. Les policiers disent que c’est interdit. C’est écrit dans le règlement. Nous devons acheter nos cigarettes dans le centre. Il y a aussi un distributeur de café, de sodas et d’autres bricoles à grignoter. On dépense beaucoup d’argent ici. »

Lundi 11 février

« Hier, ils ont contrôlé toutes les chambres pour savoir s’il restait de la place. Ils disent que certains lits ne sont pas occupés. Je ne les crois pas. Le centre est plein, ils le savent. Hier midi, personne n’a mangé. Ils nous ont donné des tomates, des cornichons et de la viande qui n’était pas hallal. Les gens n’ont pas le moral. Plus personne ne descend dans les salles communes. Le réfectoire et la salle télé sont vides. Les gens restent dans leur chambre. On va s’asseoir dehors entre 14 heures et 16 heures quand il y a du soleil. Je suis là depuis dix-huit jours et je suis fatigué. J’ai envie de sortir. »

Mardi 12 février

En pleine nuit, à 1 heure 30, nous recevons un coup de téléphone d’un retenu.

« Tout a commencé vers 23 heures 30. Nous étions dans la salle télé. La police a éteint la télévision sans explication. On a demandé qu’ils la rallument. Ils n’ont pas voulu. Le ton est monté très vite. Ils ont voulu mettre une personne en isolement. On a empêché la police de la prendre. Ils nous ont demandé de monter dans les chambres pour le comptage, on a refusé. Ils sont alors revenus en nombre. Ils étaient plus de 50. Il y avait des CRS et des policiers. Ils nous ont séparés en deux groupes, puis ils nous ont tabassés dans l’escalier, dans le couloir et dans les chambres. Il y a cinq personnes blessées, dont deux assez gravement. L’un semble avoir le bras cassé, l’autre le nez. Celui qui a le nez cassé a été tabassé dans sa chambre. L’infirmier est venu, il a dit qu’il ne pouvait rien faire et qu’il fallait appeler les pompiers. Ils sont venus. Ils ont emporté cinq ou six personnes. Certains sont à l’hôpital, d’autres sont en isolement, on ne sait pas trop. »

Nouveau coup de fil à 11 heures.

« Entre 3 heures 30 et 4 heures du matin, les flics sont venus. Ils nous ont tous sortis dans la cour. Certains n’ont pas eu le temps de s’habiller. On a attendu une demi-heure dans le froid. Pendant ce temps-là, ils ont fouillé les chambres. Puis ils nous ont fouillés 10 par 10. Quand nous sommes revenus dans les chambres, on a trouvé un Coran déchiré et piétiné, des fils de chargeurs de portables coupés. Des téléphones avaient disparu. »

On apprendra par les retenus puis de source officielle que cette nuit-là, la police a fait usage d’un Taser.

Le mardi 12 février, 400 policiers accompagnés de chiens raflent 115 personnes dans le foyer de travailleurs immigrés de la rue des Terres-au-Curé. La majorité d’entre elles sont sans papiers ; 30 sont placées au centre de rétention de Vincennes. Le mercredi 13 février, une manifestation réunit 1 000 personnes en réaction à la rafle. Le soir, un rassemblement a lieu devant le CRA de Vincennes pour protester contre les violences intervenues dans la nuit de lundi à mardi.

13 février 2008 – 21 février 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Comment s’organiser collectivement dans un centre de rétention, se réunir sous l’œil des flics ou des caméras, éviter qu’une personne soit identifiée comme « meneuse » et isolée ? Comment dépasser la barrière des langues et des regroupements communautaires, rester unis face aux tentatives de division des flics, obtenir un stylo et du papier pour écrire une lettre ? Cette révolte est parfois construite et décidée collectivement, parfois spontanée. Elle est multiforme, faite d’émeutes, de grèves de la faim, d’actes de solidarité, de confrontations verbales et physiques avec la police, de refus venant perturber l’organisation du centre. Elle est discontinue en raison du turnover permanent des retenus et de l’immédiate répression qu’ils subissent. Elle est continue, car au fil des mois, des manières de lutter s’inventent et se transmettent.

Mercredi 13 février

« Aujourd’hui, la police des polices (IGS) est venue au centre. On a témoigné contre les policiers qui nous ont tabassés et on a raconté l’épisode du Coran déchiré. On attend maintenant de voir comment ça va se passer. Quatre personnes sont toujours en isolement. Ils les ont prises quand il y a eu les violences. On ne peut pas les voir. On ne peut pas leur parler. »

Vendredi 15 février

« Depuis l’arrivée des gens du foyer Terres-au-Curé, le centre est archiplein. Tous les soirs, des CRS et un inspecteur sont présents pour le comptage. Pour l’instant, c’est plutôt calme. »

Lundi 18 février

« Rien de nouveau. C’est calme. Deux personnes ont été libérées aujourd’hui. Il y a des gens qui dorment par terre. Les CRS ne viennent plus pour le comptage. Il y a seulement les policiers. Il ne reste que trois anciens retenus qui ont participé à presque toute la mobilisation. Les autres, pour la plupart, ont été libérés. C’est difficile de parler avec les nouveaux. Ils sont déprimés. Ils sortent de garde à vue. Ils ont peur. Dans l’autre bâtiment, les gens crèvent de froid. Il n’y a plus de chauffage. »

Mardi 19 février

« On s’est réunis aujourd’hui. Des représentants de chaque communauté étaient présents. On pense faire une grève de la faim de quatre jours. Mais il faut que tous les retenus suivent.

Mercredi 20 février

« Hier soir, on a fait une réunion, elle a duré longtemps. On a parlé de la grève de la faim. Ce matin, on a parlé avec les Maliens, parce qu’il faut qu’on soit tous solidaires. On essaie d’organiser les choses. On s’est mis d’accord sur quatre jours de grève. On essaie de contacter les gens de l’autre centre pour qu’ils suivent. »

Plus tard, dans l’après-midi. « On a commencé la grève de la faim ce midi. Personne n’est allé manger. Six policiers sont allés voir les Chinois pour leur dire de manger. Ils ont refusé. Nous nous sommes tous regardés et on a rigolé. »

Jeudi 21 février

Le matin. « On a écrit une lettre à la Cimade. Ma chambre est devenue un bureau. Les gens viennent signer la lettre, prendre un renseignement, une information, etc. J’ai collé ma carte sur la porte avec de la confiture pour que les gens sachent que c’est ici. Le matin, je l’ai retrouvée par terre, déchirée. Ils ne m’aiment pas. Un policier m’a bousculé dans les escaliers. Je lui ai demandé de s’excuser. Ils m’ont mis en isolement. »

L’après-midi. « On a arrêté la grève. La police est venue parler aux gens. Une trentaine de personnes sont allées manger, cela a cassé le moral des autres. »

Des rassemblements ont lieu tous les samedis. Les CRS sont de plus en plus présents et éloignent les manifestants des abords du centre. Le parking jouxtant le CRA devient extrêmement difficile à atteindre. On apporte un micro et des enceintes pour que les retenus nous entendent.

23 février 2008 – 28 février 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     La résistance se construit dans un rapport étroit à l’organisation du centre. En retour, le centre se réorganise en fonction des résistances qui s’y déroulent. Le comptage du soir était depuis le début du mouvement l’un des principaux moments de lutte. À minuit, les retenus devaient tous rentrer dans leurs chambres pour être comptés, et souvent, ils s’y opposaient. Jeudi 28 février, le lieu et les horaires du comptage changent.

Samedi 23 février

« On s’est mobilisés parce qu’un homme était là depuis plus de trente-deux jours et qu’ils ne le libéraient pas. Nous sommes passés dans toutes les chambres pour expliquer la situation. Nous sommes tous descendus à l’accueil. On a tapé sur les tables, on a crié “liberté”. Le chef du centre a demandé pourquoi on faisait cela. On a expliqué le cas. Il a dit qu’il allait téléphoner à la préfecture. Une heure après, il est redescendu et il a dit au gars : “Tu peux aller chercher tes affaires, tu es libre.” »

Lundi 25 février

« Plusieurs sénateurs sont venus au centre. Nous avons parlé avec eux. »

Mercredi 27 février

CRA 1. « Aujourd’hui, deux Maliens ont été expulsés. Ils viennent d’afficher que demain, il y aura 12 expulsions vers le Mali, l’Algérie et la Turquie. Hier, nous étions 18 à passer devant le consul. Ils nous ont emmenés jusqu’au centre de rétention du Mesnil-Amelot, où se trouvait le consul. Nous ne sommes restés que deux à trois minutes chacun devant lui. Pour l’instant, ils ne nous ont rien dit. C’est la deuxième fois que je passe par ce centre. La première fois, j’y suis resté du 29 novembre au 31 décembre 2007. »

CRA 2. « Tout le monde est déprimé. Cela fait quatre jours que je suis en grève de la faim. Hier, on a parlé avec le commandant. Nous voulons être libérés ou expulsés, mais nous ne voulons plus être prisonniers. Il a bien reçu notre lettre de doléances et l’a transmise au préfet. Il y a beaucoup d’expulsions chaque jour. Nous n’avons peut-être pas de papiers, mais nous avons des droits. À l’infirmerie, qu’importe la maladie, ils nous donnent toujours le même médicament, du Di-Antalvic. La police est partout. À minuit, ils nous comptent. Ils frappent aux portes. Ils entrent. Ils fouillent les chambres. Ils se foutent de savoir si les gens dorment. Certains ne savent même pas qu’ils vont être expulsés. »

Jeudi 28 février

CRA 1. « Désormais, le comptage se fait tous les soirs avant le dîner, vers 18 heures. Chaque jour, il y a des expulsions. Le nom des personnes, ainsi que le numéro de vol et l’horaire de départ sont affichés sur un tableau entre 20 heures et 22 heures. Aujourd’hui, neuf Marocains ont été expulsés. L’expulsion de deux Maliens avec escale à Casablanca est annoncée pour demain. Un jeune Algérien de 28 ans a tenté pour la seconde fois de se suicider. Vers 10 heures, il s’est pendu avec les lacets de son blouson. Il ne s’est pas rendu compte qu’il y avait une caméra devant lui. Les policiers sont tout de suite intervenus. Ils l’ont gardé toute la nuit. Ils l’ont renvoyé dans sa chambre le matin. »

Le samedi 1er mars, 400 personnes manifestent à Joinville-le-Pont et devant le CRA de Vincennes à l’appel du 9e Collectif de sans-papiers.

14 mars 2008 – 5 avril 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Refus d’entrer dans les chambres, refus d’être comptés, refus de manger, cartes déchirées, altercations avec la police. Ces actes quotidiens de révolte se construisent dans un rapport à l’organisation du centre et à tous les moments de contrôle et d’humiliation qui lui sont liés. Ils n’ont aucune fin, aucune limite. Ils sont repris par chaque nouvel arrivant. Seuls l’isolement et la répression parviendront à arrêter la révolte de Vincennes. Mais elle durera si nous continuons à téléphoner, à visiter régulièrement les détenus et à informer sur ce qui se passe à l’intérieur. Elle durera si nous continuons à manifester devant le centre. Elle durera si les initiatives provenant de différents groupes, collectifs, individus (actions, affiches, autocollants, etc.) se multiplient. Elle durera si la révolte s’étend aux autres centres, aux autres villes, à la société tout entière. Elle durera et s’étendra si nous nous révoltons avec eux.

Vendredi 14 mars

CRA 2. « Un chien, on ne le traite pas comme ça. Nous aussi, on a le droit de vivre sur terre. Ils ne nous respectent pas. Je viens de m’embrouiller avec un flic. Un homme parmi nous est gravement malade. Il a une pneumonie depuis 2003. Il est venu en France pour consulter un médecin. Ils l’ont arrêté le 20 février. Il a un certificat médical attestant qu’il est malade mais ils s’en moquent. Le médecin du centre lui a juste donné du paracétamol. Le monsieur n’arrive pas à respirer et ils ne veulent pas le soigner. »

« Cela fait douze jours que je fais la grève de la faim. Mon père est français. Il a été amputé de ses deux jambes. Je suis venu en France pour m’occuper de lui. La Cimade a écrit au juge, mais il a demandé que je reste encore quinze jours ici. »

On nous passe un détenu qui est avec la personne en grève de la faim.

« Il fait la grève de la faim depuis neuf jours. On le force à boire de l’eau sucrée. Sa tension chute, mais l’infirmière s’en moque. Il a 56 ans. La bouffe est immangeable. On nous donne des barquettes qui périment le lendemain. Ici, c’est crade. J’ai chopé des champignons. Les serviettes ne sont changées qu’une fois par semaine. On nous donne des draps une seule fois, à notre arrivée. Ils nous mettent des coups de pression : ils entrent dans les chambres en pleine nuit. »

Dimanche 16 mars

CRA 2. « J’ai dit aux flics que j’étais mineur. Je leur ai demandé de m’emmener dans un centre pour mineur, mais ils m’ont emmené à l’hôpital. Ils m’ont fait un test osseux pour vérifier mon âge. Le médecin a dit que j’avais 18 ans, mais moi, je suis mineur. »

« Tout le monde a déchiré sa carte d’identification vendredi. Le capitaine a dit qu’il n’y aurait ni nourriture, ni visite, ni médecin si on n’acceptait pas la carte. J’ai été arrêté deux fois. Une fois à la préfecture de Chartres alors que j’allais faire une demande de régularisation. Et une seconde fois, à la sortie du métro Jules-Joffrin. »

« Ils ont ramené beaucoup de monde ce week-end. Ça a chauffé. Ils voulaient nous mettre à cinq par chambre. Les flics ont sorti leurs bâtons, l’un d’entre eux son pistolet. Le capitaine l’a fait partir. »

« Vendredi soir, deux personnes fumaient dans le couloir. Deux flics sont passés et leur ont demandé de sortir. Une flic a violemment arraché la cigarette de la main de l’un des retenus. Le retenu a poussé la flic. L’autre flic lui a mis une droite dans le visage. Cette flic a particulièrement la haine. Elle crée toujours des problèmes. Le commandant nous a dit qu’elle ne remonterait plus. Vendredi, on a tous déchiré nos cartes. On les a mises dans un sac que l’on a balancé à l’accueil. Suite à cela, ils ont mis deux personnes en isolement. Ils les ont prises au hasard, parmi ceux qui parlent bien français. Les flics m’ont dit que j’étais un meneur, parce que je leur parlais au nom de tous. L’autre jour, ils nous ont tous rassemblés dans le réfectoire pour nous compter. Il y avait beaucoup de flics et des chiens. On aurait dit qu’ils cherchaient quelqu’un qui s’est enfui. Mais ils n’ont rien dit. Samedi, j’ai entendu l’alarme qui venait du CRA 1. J’ai vu une quinzaine de flics courir là-bas. On ne sait rien de ce qui s’y passe. En ce moment, ils mettent beaucoup de coups de pression. Ils nous traitent comme des chiens. La nuit, ils passent dans les chambres sous prétexte de chercher des gens. Mais ce ne sont que des coups de pression et des provocations. Ils pourraient aller directement dans la chambre du mec qu’ils cherchent. Au lieu de cela, ils font toutes les chambres. Comme j’ai les cheveux longs, ils se foutent de ma gueule. Quand je leur ai dit que le type qu’ils cherchaient n’était pas là, ils m’ont répondu : “Fermez vos gueules et montrez vos cartes !” Ici, certains flics ont la haine. Je ne sais pas si ce sont des fachos, mais ils ont vraiment la haine contre les immigrés. Il est impossible de dormir. La nuit, ils claquent les portes. On entend les aboiements des chiens de la brigade canine à partir de 4 heures du matin. Ils sont du côté du CRA 1. Là-bas, ils ne doivent pas dormir de la nuit ! Le matin, c’est le micro qui nous réveille. Dans les chambres, il y a des odeurs incroyables. Dans les chiottes, on pourrait attraper n’importe quelle maladie. Vous verriez les douches, les couloirs, le réfectoire, vous n’en croiriez pas vos yeux. Ici, c’est comme une prison. »

Le samedi 5 avril, 15 000 personnes manifestent à Paris à l’appel de l’Ucij. À la suite de cette manifestation, environ 200 personnes se rendent devant le centre de rétention puis manifestent à Joinville, où Baba Traoré a trouvé la mort la veille alors qu’il essayait d’échapper à un contrôle de police. Le samedi suivant, le 9e Collectif de sans-papiers a appelé à manifester à Joinville pour protester contre la mort de Baba Traoré. La manifestation a été bloquée par la police avant d’arriver au CRA. Seules quelques personnes ont réussi à se rendre devant le centre pour entamer un parloir sauvage avec les retenus.

7 avril 2008 – 4 mai 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Après deux jours de révolte au centre de rétention, nous appelons les retenus. La rage contenue est perceptible dans les voix quelquefois nouées de nos interlocuteurs, dans leurs récits. Parfois perce un sentiment d’impuissance… Au-dedans comme au-dehors, on tourne en rond, on se cogne la tête contre les murs, on cherche. À l’intérieur du centre de rétention, il n’y a pas de cellules mais un espace comprenant une cour, des chambres, des couloirs, des douches, des toilettes, un réfectoire et une salle de télévision. Les retenus peuvent s’y déplacer, mais ils restent à tout moment surveillés par des caméras et contrôlés par la police. Dans cet espace, les incursions policières ressemblent à des descentes punitives. Elles se passent rarement sans insultes racistes, coups de poing, coups de matraque, gazage…

Lundi 7 avril

CRA 1. « Tout le monde est fatigué. On reste dans nos chambres. On sort juste pour aller chercher de l’eau, pour fumer ou pour aller à la Cimade. Certains sont en grève de la faim. D’autres mangent. Moi je continue la grève de la faim. Hier, il y a eu des blessés dans le CRA 2 suite aux affrontements. On a escaladé un muret et on leur a demandé ce qui s’était passé. Les flics ont utilisé leurs matraques et du gaz lacrymogène. Dans notre centre, la police prétend qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de blessés, que ça ne sert à rien de faire la grève de la faim et que de toute manière, personne ne nous entend dehors. »

Nous leur lisons la dépêche publiée aujourd’hui dans 20 minutes suite aux affrontements.

« Cela s’est passé dans mon centre. »

Nous leur lisons ensuite l’article paru dans Le Parisien.

« Là, ce dont ils parlent s’est passé dans le CRA 2. »

« Le comportement des flics a changé depuis deux jours. Quand on leur demande du feu pour allumer une cigarette, ils ne nous en donnent plus. Ceux qui ont déchiré leur carte n’ont plus droit aux visites. La situation s’est aggravée. On continue à se réunir. On se parle régulièrement. On s’est révoltés suite à des discussions entre nous. On ne supporte plus la nourriture qu’ils nous donnent. Elle est dégueulasse. »

Mercredi 9 avril

CRA 1. « La grève de la faim est terminée des deux côtés. Des groupes mangeaient. Les gens en ont eu marre. Chacun prépare son audience ou sa sortie, ce n’est plus collectif. Tout est fini, et il n’y a rien au bout. On continue à se réunir, même si on n’a plus revu les gens qui ont organisé la première lutte. Les flics ont transféré les fortes têtes dans un autre bloc. Un matin, à 4 heures, ceux qui allaient être expulsés nous ont réveillés en passant dans les chambres. Les flics les ont localisés grâce à leurs caméras. Ils ont placé deux personnes en isolement. J’en ai revu un au tribunal, à Cité, lors de mon audience. Ce matin-là, quand ils l’ont emmené, ils étaient à cinq sur lui. Ils l’ont mis dans une cellule où il y avait des toilettes. Il a tout cassé à l’intérieur. Il a aussi cassé la caméra. Les flics ont flippé. Ils sont venus frapper à la porte, mais il n’a pas répondu. Ils ont cru qu’il était en train de se suicider. Lui, il avait peur qu’ils le frappent. Il s’est fabriqué un couteau et il a attendu qu’ils ouvrent la porte. Le commandant est intervenu. Il est venu lui parler et l’a mis dans une cellule avec trois autres personnes. Il faut penser la lutte autrement. Les gens et les flics se foutent de la grève de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur mettre une vraie pression. Quand j’étais dehors, je travaillais. J’allais boire des verres après le travail. Je sortais avec mes amis. Je me foutais du reste. Quand j’ouvrais un journal, je ne m’intéressais qu’aux gros titres. Pour les gens, c’est pareil. Il faut que ça pète pour qu’ils s’intéressent à nous. Les gens qui entrent ici n’ont aucune chance. Moi, j’ai deux avocats, j’écris des lettres mais les juges s’en foutent. Ils ont des objectifs à atteindre. Ils ne cherchent pas à comprendre. Même si tu n’es pas expulsé, tu restes ici trente-deux jours. Quand tu sors, tu as tout perdu. Tu n’as plus d’appartement parce tu n’as pas pu payer ton loyer. Tu n’as plus de travail parce que tu n’y es pas allé. Certains parmi nous ne savent ni lire ni écrire le français. Quand ils vont chez le médecin pour un mal de tête, il leur donne un cachet pour les fous qui endormirait un éléphant. Après en avoir pris, un homme a dormi vingt-quatre heures ! Ils font ça pour qu’on ne réfléchisse plus. Je conseille aux autres de ne pas prendre les cachets sans voir la boîte. Il faut que le médecin fasse une ordonnance pour qu’il existe une trace de ce qu’il a donné. Mais les gens ne savent pas. Beaucoup de flics ici sont des fils d’immigrés. Ils essaient de nous amadouer pour qu’on reste tranquilles. Quand ils viennent me parler en arabe, je leur réponds d’aller se faire foutre. S’ils n’ont rien trouvé d’autre comme métier, qu’ils aillent se faire foutre. Aujourd’hui, je me suis pris la tête avec un flic à propos de la télé. Je lui ai demandé de changer de chaîne. La télé est en hauteur. Elle est entourée de grillage et de Plexiglas. On n’y a pas accès. Il m’a répondu : “Mais pourquoi tu veux changer de chaîne ? Tu ne peux pas regarder une seule chaîne ?” La Cimade travaille avec les flics. Pour moi, c’est la même chose. Quand les nouveaux arrivent, ils leur demandent s’ils ont un avocat, s’ils ont fait une demande d’asile. Mais ils bougent tous dans le même système. Ils ne peuvent rien faire pour nous. Ils ne sont pas là pour nous défendre ni pour nous aider à sortir. Aujourd’hui, trois personnes du consulat algérien sont venues pour nous reconnaître. Elles m’ont parlé en arabe. Je leur ai dit que je ne comprenais pas. Ils ont insisté, j’ai répondu que je ne comprenais pas leur charabia. De toute façon, ils font ce qu’ils veulent, ils ne font que des conneries. Pour refuser d’embarquer, un mec a eu une idée incroyable. Il s’est chié dessus. Il s’est tout étalé sur lui. Ils n’ont pas pu l’expulser. Ils l’ont ramené au centre. Le lendemain, ils sont venus le rechercher. Ils l’ont attaché avec du Scotch et ils l’ont enroulé dans du film plastique. Ils l’ont pris et ils l’ont expulsé comme ça. S’ils m’expulsent, je ferai tout pour revenir. Ce week-end, quelqu’un s’est fait frapper à l’infirmerie. Il a subi une opération à la jambe et doit suivre un traitement. Mais l’infirmière ne l’a pas cru. J’étais là pour traduire. Elle a appelé les policiers en appuyant sur un bouton sous le bureau. Ils sont arrivés à une douzaine. J’ai essayé d’expliquer à la police que le monsieur n’avait rien fait, mais ils m’ont attrapé et malmené. Lui, ils l’ont pris et l’ont isolé. Il est sorti trois heures plus tard. Une brigade est venue relever la première. Il s’est plaint que la précédente brigade l’avait frappé. Ils l’ont jeté. Ils lui ont dit d’aller se plaindre à la Cimade. À 5 heures 30 du matin, quand on a voulu faire notre prière dans un des couloirs du centre, les CRS sont entrés en force. On leur a dit qu’on pouvait changer d’emplacement, mais ils ont lancé des bombes lacrymogènes. Ceux qui dormaient encore dans les chambres ont étouffé. Face à cela, des gars ont allumé un feu dans le centre. Ce ne sont pas les pompiers qui sont intervenus. Ils ont encore envoyé des CRS. »

« Au CRA 2, des gens sont encore en grève de la faim. Il y a une vingtaine de jours, on était 94 grévistes. On a tous arrêté. Parmi nous, un homme est resté quatorze jours sans manger. Les flics l’ont frappé. Il a porté plainte auprès de la Cimade. On reste en contact avec l’autre centre. Quand ils transfèrent l’un d’entre nous, on peut se téléphoner. Il n’y a pas de problème entre nous. Même si on ne parle pas la même langue, on est tous unis. On décide ensemble. Nous avons manifesté samedi, vers 17 heures, pendant que vous étiez dehors. On s’est rassemblés, on a crié “liberté”. On a aussi crié contre Sarkozy. Mais on ne pouvait pas vous voir. Depuis une vingtaine de jours, ils ont mis une bâche verte pour qu’on ne puisse plus voir l’extérieur. »

Lundi 14 avril

CRA 1. « Les flics nous donnent les rasoirs entre 8 heures et 10 heures du matin en échange de nos cartes. Pour pouvoir récupérer les cartes, on doit leur rendre le rasoir. On n’a jamais les mêmes. Samedi, un mec devait être expulsé vers l’Algérie. Pour ne pas partir, il s’est ouvert la jambe avec la lame du rasoir, en allant prendre sa douche. Il a failli se couper une veine. Ils l’ont emmené à l’hôpital. Ils l’ont ramené hier soir. Je lui ai dit que c’était une connerie. Depuis que je suis ici, quatre ou cinq gars ont fait des tentatives de suicide pour ne pas être expulsés. Certains se pendent, d’autres avalent des pièces de monnaie. Ceux qui refusent l’embarquement sont ramenés au centre pour être expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais accepter. Quand c’est la deuxième fois qu’ils tentent de t’expulser, ils te scotchent comme un animal et je ne veux vraiment pas partir scotché comme un animal. Aujourd’hui, une bagarre a éclaté entre un Algérien et un Égyptien. Quand les flics sont montés, ils n’ont pas essayé de calmer les choses. Le capitaine était là. L’un des flics m’a dit : “Pourquoi t’y vas pas, toi ? Tu dois être du côté de ton pote algérien.” Je lui ai répondu que c’était à lui que j’avais envie de casser la gueule et pas à mes frères ! Un autre flic nous a dit : “Vous les Algériens, vous êtes tous des terroristes !” L’un de nous l’a insulté. Alors les flics sont revenus à plusieurs. Ils ont pris le gars. Ils l’ont mis dans une chambre et lui ont cassé la gueule ; il a des marques partout. J’ai demandé à parler à un responsable. On m’a répondu que personne ne savait ce qui s’était exactement passé. Les flics avaient changé d’équipe. J’ai dit au gars de porter plainte à la Cimade et d’aller chez le médecin pour qu’il l’examine. Il l’a fait. Si on n’a pas de réponse d’ici ce soir, on va voir ce qu’on peut faire.

Je vous ai vus samedi sur le parking. En montant l’escalier et en s’appuyant sur une barre, on peut apercevoir le parking qu’ils ont essayé de nous cacher avec la bâche verte. Les flics nous ont empêchés de nous rassembler. Ils viennent à quatre ou cinq, ils se mettent parmi nous. Ils essaient de capter l’attention des retenus en leur parlant d’autres choses. Les gens se font avoir facilement et ça marche. Après votre visite sur le parking, le commandant est venu en nous disant qu’on pouvait toujours crier, ça ne servait à rien. Il nous a fait la morale pendant plus d’une heure. Quand il vient, les détenus l’appellent “chef”. Je leur demande toujours d’arrêter. Ce n’est pas leur chef ! De toute manière, ils veulent nous casser le moral. J’ai dit aux gars : “Vous arrivez à vous réunir pour faire la prière, mais vous vous bagarrez entre vous. Et quand les flics arrivent, vous n’arrivez pas à vous unir contre eux.” »

Jeudi 24 avril

« Un retenu a dit à la cuisinière qu’il ne mangeait que hallal. La cuisinière l’a insulté. Il a jeté son plat vers elle. Il ne pouvait pas l’atteindre car il y a un grillage entre eux. La cuisinière a dit aux flics qu’il lui avait craché dessus, 20 policiers l’ont tabassé en dehors du champ des caméras. Il fait un mètre cinquante ! Ils l’ont bien amoché à coups de rangers sur le visage. Ils ont même essayé de lui casser le poignet. Ensuite, ils l’ont mis une heure en isolement, avec les menottes très serrées. Il est sorti avec les poignets enflés. On lui a dit de porter plainte, mais tout s’est passé en dehors des caméras. Il nous a fait de la peine. On a manifesté. Les flics nous ont poussés. Ils ont fermé le sas de protection de l’administration et nous ont dispersés. Ils l’ont mis dans l’autre centre. Ici, on était ensemble, solidaires ; là-bas, il est tout seul avec de nouvelles personnes. »

Le 4 mai, une manifestation contre les centres de rétention part de la Porte Dorée et va jusqu’au CRA de Vincennes. Elle est suivie d’un concert avec Kalash et Keny Arkana. Une personne est arrêtée. Elle est emmenée au commissariat du douzième.

15 mai 2008 – 16 mai 2008

November 8th, 2012 by feuaucentrederetention

     Un doute a été soulevé quant à la véracité des témoignages ou plutôt leur caractère orienté. On ne nous a pas reproché un manque d’impartialité à l’égard des agissements de la police, si violente et humiliante qu’on peine à y croire. Non. La mise en question des paroles publiées est intervenue à propos du regard que les retenus portent sur la Cimade. Ils ont le sentiment que cette association fait partie du centre, de son organisation, qu’il faut s’en méfier. Ces paroles posent problème parce que depuis plusieurs mois, la Cimade est attaquée par le gouvernement qui préférerait travailler avec des associations plus dociles. Pour autant, faut-il s’empêcher de réfléchir aux contradictions, aux ambiguïtés, aux effets pervers de sa présence dans les centres ? Que la Cimade soit parfois utile aux retenus pour faire valoir leurs droits individuellement ou collectivement, nous le pensons. Que parmi les employés de la Cimade, certains prennent pleinement le parti des retenus, nous n’en doutons pas. Mais nous ne doutons pas non plus que certains de ses employés intériorisent les cadres d’analyse et de perception de l’institution répressive, et s’intéressent aux retenus les plus dignes, les plus crédibles, les plus susceptibles de « s’en sortir » et surtout ne prennent pas les précautions nécessaires concernant la non-divulgation de la nationalité des retenus. La Cimade n’a pas pour objectif la fermeture des centres de rétention mais une meilleure gestion, plus humaine, plus humanitaire de l’expulsion des étrangers. Elle voudrait que cela se passe bien et contribue à travers ses rapports et sa présence dans les centres à ce que cela se passe mieux. Mais on aura beau améliorer la nourriture, diminuer la taille des centres et permettre à tous les retenus de faire valoir les droits qui leur restent, on obtiendra peut-être une diminution des actes de révolte mais sûrement pas une diminution des expulsions.

Jeudi 15 mai

« Nous nous sommes d’abord retrouvés entre Africains de l’Ouest pour discuter de la situation dans le centre et de la politique menée contre les immigrés. Nous avions l’idée d’informer les associations. Le 1er mai, on a tenu une assemblée générale pour un mouvement de grève de la faim illimitée. On a parlé à toutes les communautés. Un Congolais et moi, on a rédigé une pétition avec nos revendications. Elles demandaient la libération de tous, l’arrêt de toutes les procédures, des dédommagements, une assistance médicale pour la grève de la faim, un accès aux médias… Pour moi, les centres de rétention sont des camps de concentration, je ne vois pas la différence. On nous enferme parce qu’on est étrangers, comme dans des camps de concentration. Ceux qui signent la pétition commencent la grève de la faim. 120 retenus l’ont signée, mais on a décidé que 20 personnes ne feraient pas la grève car elles sont malades. Les tentatives de suicide surviennent souvent lorsque les détenus craignent d’être expulsés. Parfois, cela marche. Mais ce n’est pas une méthode. Vous vous rendez compte de ce que certains sont obligés de faire pour tenter d’éviter l’expulsion ? Le pire est qu’on ne leur laisse pas le choix. Tout le monde se raconte les trucs qui marchent et ne marchent pas. Le fait que certaines personnes se soient mutilées et n’aient pas été expulsées encourage d’autres personnes à faire la même chose. C’est un cercle infernal de désespoir. Moi, je ne suis pas d’accord. Je pense qu’on ne peut pas mettre notre vie en danger. On doit trouver d’autres moyens. Depuis que je suis au centre, il y a eu au moins 10 personnes, toutes communautés confondues, qui se sont coupé les veines, entaillé les bras, les jambes, qui ont avalé des lames de rasoir ou des clous. Un mec a préparé et avalé une potion à base de savon… Le problème de division entre les communautés est réel. Les flics poussent à cela, ils sabotent les mouvements de solidarité. Ils essaient d’être amis avec des retenus et leur demandent d’être dociles, tranquilles. Ils pratiquent le chantage. Souvent les flics qui parlent arabe vont parler aux Arabes. Ils disent de ne pas écouter les Africains. Il y a parfois des bagarres encouragées par les flics. Mais le plus gros problème avec les communautés, c’est la barrière de la langue, notamment avec les Chinois et les Hindous. Dans le mouvement, on a fait une erreur, on aurait dû nommer un ambassadeur par communauté afin de mieux communiquer entre nous. Parfois on essaye de s’opposer aux expulsions. Souvent quand les gars nous ont vraiment émus avec leur histoire. Un Pakistanais nous a dit que sa vie était gravement menacée dans son pays. On a essayé d’empêcher l’expulsion, mais les flics ont appelé des renforts. On n’a rien pu faire. Les flics nous questionnent souvent. Ils tournent régulièrement dans les chambres. Ils ne nous laissent jamais tranquilles. Parfois, il y a des gars qui viennent quelques jours, ils tournent dans les chambres et posent plein de questions. Ils sont libérés sans qu’on sache comment, je pense que ce sont des flics. Quant à la Cimade, la première chose que te disent les autres détenus, c’est qu’on ne peut pas leur faire confiance. C’est vrai car elle ne fait rien pour t’aider et te dissuade de lancer un quelconque mouvement de protestation. C’est à cause d’eux que plusieurs personnes ont été expulsées car ils ont donné leurs passeports. C’est le cas d’un jeune Tunisien qui était en France depuis quinze ans. J’ai demandé des contacts de médias à la Cimade, ils ont dit qu’ils n’en avaient pas. Ils ne m’ont pas donné les articles de presse sur le mouvement comme je leur avais demandé. Ils veulent toujours calmer les choses. Forcément, les articles de presse donnent du courage aux retenus pour continuer. Parfois, ils ont un discours pire que la police. »

Vendredi 16 mai

« Nos droits ne sont pas respectés. Quand il s’agit d’aller chez le médecin, recevoir une visite, aller à un rendez-vous à la Cimade, c’est tout juste s’ils nous appellent. Parfois, on n’entend même pas notre nom. Alors que pour passer devant le juge ou pour nous expulser, ils n’hésitent pas à venir nous chercher deux heures avant. Ils vont jusqu’à ouvrir toutes les portes des chambres alors qu’ils savent pertinemment où nous nous trouvons. Les gens sont mal informés. Quand la Cimade est fermée, la procédure de recours au jugement est entachée. Nous n’avons que vingt-quatre heures pour faire appel de la décision de justice qui nous maintient en rétention. La Cimade est seulement ouverte de 9 heures à 13 heures 30 et de 14 heures à 17 heures. Elle est fermée le week-end. Moi, je sais faire les appels mais si nous ne pouvons pas accéder au fax, les recours ne peuvent pas être envoyés à temps. La pression psychologique et physique est énorme et permanente. Si on ne présente pas notre carte de retenu, on peut être violenté. Un jeune homme faisait du sport dehors à 6 heures du matin. Un policier est venu lui demander sa carte. Il lui a répondu qu’il l’avait laissée dans sa chambre. Le policier l’a attrapé par la nuque et l’a poussé au sol en l’insultant. Ils ne sont pas polis avec nous. Ils nous disent qu’on n’a rien à faire en France. Et que si on vient ici, on doit se plier aux règles du jeu. On leur répond qu’on ne se plie pas aux rancœurs et à la haine. Pour moi, on est une sorte d’expérimentation pour l’école de police. Ils font des expériences sur nous. Et puis il y a les chiens de l’autre côté du centre, ils aboient toute la nuit, comme si c’était un disque, c’est insupportable. Ce soir, on va organiser une assemblée avec les gens qui viennent d’arriver. On va les informer du règlement, des conditions de vie dans le centre et du mouvement. »